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Recensione: TORRELL JEAN-PIERRE. Doctrine de la prophétie et philosophie de la connaissance aux environs de 1230. La contribution d'Hugues de Saint-Cher

 
 
 
Foto Bataillon L.J. , Recensione: TORRELL JEAN-PIERRE. Doctrine de la prophétie et philosophie de la connaissance aux environs de 1230. La contribution d'Hugues de Saint-Cher , in Antonianum, 53/3-4 (1978) p. 639-641 .

Les lecteurs de VAntonianum n'ignorent pas les travaux de J.-P. Torrell sur la prophétie puisque un de ses articles a paru en cette revue en 1974: La question 540 (De prophetia) du manuscrit de Douai 434. Un autre article, complémentaire de celui-ci peut se lire dans la Revue Tho-miste de 1975 sur La « Summa Duacensis » et le chancelier Philippe. Dans ees deux études l'auteur établit la succession: Summa Duacensis (d'un inconnu), Summa de bono (du chancelier), question 540, due probable-ment au compilateur lui-méme du célebre recueil de questions théologi-ques. Mais la Summa de bono a trouvé un utilisateur beaucoup plus connu que le modeste G. de Soissons en la personne du maitre domi-nicain Hugues de Saint-Cher. C'est en effet á ce dernier qu'il convient d'attribuer, toujours dans la méme collection de Douai, la question ano-nyme sur la prophétie á laquelle a été donné le n. 481; J.-P. Torrell l'établit de facón convaincante, confirmant ainsi les conclusions auxquelles était arrivé par d'autres voies le P. Doucet. C'est a l'éditíon et á l'étude de cette question que I'ouvrage récense est consacré et il faut dire tout de suite que l'auteur s'est acquitté excellemment de ees deux taches. A premiére vue il aurait pusembler qu'il n'y avait guére d'intérét á examiner en détail un texte dont les neuf dixiémes sont copies sur d'autres auteurs: plus précisément sept dixiéme proviennent de Guillaume d'Auxerre et deux du chancelier Philippe. Les choses sont en fait beaucoup plus complexes et un des aspeets les plus neufs de ce livre est de mettre en garde contre des jugements trop rapides en matiére d'emprunts littéraires. De fait Hugues ne reproduit presque jamáis exactement ses sources: il ajoute ou supprime quelques mots, déplace un paragraphe, transforme une con-clusione en un argument qu'il refute, bref se livre a tout un travail de reconstruction á partir des éléments empruntés, un peu comme ees architectes de basiliques chrétiennes qui faisaíent oeuvre neuve avec des matériaux provenant de temples ou de palais antérieurs. Ce qui est vrai d'Hugues le serait aussí d'autres maítres: dez rapports assez analogues se remarquent entre Summa de bono et Summa Duacensis sans que l'on puisse traiter pour autant Philippe le Chancelier de plagiaire; méme un auteur tres effacé, comme celui de la question 540 n'est pas un simple abbréviateur mais glisse aussi quelques vues personnelles au mi-lieu de ses emprunts. II ne faut pas oublier qu'á cette époque la notion de propriété littéraire n'avait pas encoré pris les formes exacerbées et presque névrotiques que nous lui connaissons aujourd'hui: de facón fina-lement assez saine, le maitre prenait chez ses devanciers ce qui lui semblait de bonne qualité et en faisait profiter ses eleves; ceux-ci a leur tour en usaient de méme avec les enseignements de leur maitre; ce qui n'empéchait en rien de faire du travail personnel, soit en disposant autre-ment la matiére et en changeant ainsi les points forts de l'argumentation, soi en insérant des réflexions nouvelles au milieu de morceaux repris des prédécesseurs. Dans le cas d'Hugues de Saint-Cher, on peut appré-cier notamment l'effort de clarification entrepris par rapport a Guil­laume et Philippe. Plus profondément, il modifie de facón importante la notion de prophétie en refusant d'y voir un habitus permanent et en la distinguant mieux ainsi de la foi. Surtout il a transformé la théorie de la connaissance prophétique en utilisant autrement l'expression uidere in speculo aeternitatis; pour lui comme pour ses devanciers, le speculum aeternitatis n'est autre que l'essence divine, mais pour Guillaume et Philippe, le prophéte voyait l'essence divine tout en ne la voyant pas comme telle, mais sous sa raison de miroir. Hugues se montre beaucoup plus soucieux de respecter I'impossibilité de voir Dieu durant la vie terrestre, concluí que le prophéte ne voit que les similitudes créens dans son esprit par le miroir éternel. Tout son traite de la prophétie est d'ail-leurs fondé sur une théorie de la connaissance, encoré assez balbutiante, mais qui commence á intégrer des éléments tant aristotéliciens qu'avicen-niens. Sous tous ees rapports, Hugues prepare la voie aux théologiens de la génération suivante, notamment á l'auteur de la question sur la prophétie du manuscrit Assise 186 et á Thomas d'Aquin; sur ce point on trouvera des développements plus poussés dans un article de la Revue Thomiste de 1974: Hugues de Saint-Cher et Thomas d'Aquin. Ce beau tra-vail ne complete pas seulement une lacune de la grande étude de Bruno Decker sur la prophétie — lacune due au fait que le manuscrit de Douai n'était alors que tres peu connu — mais il nous montre l'importance capitale de ees années du second quart du XIIP siécle pour l'histoire de la théologie; il y aurait d'ailleurs place pour un nouvel examen du texte, rendu facile par le fait qu'il est maintenant edité, sous le rapport de l'histoire philosophique, notamment pour l'étude encoré plus poussée de l'influence naissante d'Avicenne. II est aussi tres intéressant de le lire en paralléle avec les ouvrages de W.H. Principe sur l'histoire de la christo-logie á la méme époque. Le venerable recueil de Douai n'a pas encoré livré toutes ses ressources: quelle reconnaissance devons-nous á ce G. de Soissons qui, ne pensant sans doute qu'á son propre usage et ne pré-voyant certainement pas qu'il ferait le bonheur des historiens des idees sept siécles aprés lui, nous a laissé une documentation qui permet de si fécondes études!



 
 
 
 
 
 
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