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Recensione: Gerhard Nachtwei, Dialogische Unsterblichkeit. Eine Untersuchung zu Joseph Ratzingers Eschatologie und Théologie

 
 
 
Foto Rezette Jean , Recensione: Gerhard Nachtwei, Dialogische Unsterblichkeit. Eine Untersuchung zu Joseph Ratzingers Eschatologie und Théologie , in Antonianum, 62/4 (1987) p. 471-474 .

Dans le Bilan de la théologie du XX' siècle publié il y a dix-sept ans, le nom de Joseph Ratzinger ne figurait pas parmi les « portraits de théologiens », bien que son nom eût été souvent cité dans les deux volumes de l'ouvrage. Dans la galerie de portraits présentés sous le titre: Tendenzen der Théologie im 20. Jahrhundert. Eine Geschichte in Portrâts (Stuttgart 1967), Nobert Schiffers consacrait quatre pages au théologien bavarois, en insistant surtout sur son ecclésiologie centrée sur la fraternité.

Cette fois, c'est une volumineuse étude sur l'eschatologie et la théo­logie de celui qui est maintenant cardinal de la sainte Église et Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, que nous présente Gerhard Nachtwei, sous le titre un peu énigmatique: « immortalité dialogique ». Selon lui, ce serait la thèse fondamentale de J. Ratzinger, conçue sous l'influence du théologien protestant P. Althaus.

De quoi s'agit-il au juste? Pour P. Althaus, quand on parle d'immor­talité, il ne faut pas penser à notre âme séparable du corps, mais à notre relation à Dieu, laquelle touche l'homme dans sa totalité psychosomatique. « Dieu veut dialoguer avec nous jusque dans l'éternité et d'une manière immortelle ». Ratzinger nuancera, si l'on peut dire, cette intuition en précisant que l'homme est un interlocuteur (Dialogpartner) réel avec Dieu. Il ne l'est pas de lui-même, mais comme créature, et c'est comme telle qu'il l'est réellement.

L'Auteur a réussi à cristalliser autour de ce principe toute une théo­logie que l'on pourrait appeler « trinitaire ». Le fondement et le point de départ de toute théologie est le Dieu trinitaire: Dieu comme dialogue de l'amour qui s'est communiqué dans la création et la rédemption. Mais c'est déjà la création qu'il faut interpréter dialogiquement à partir  de ce fondement qui est Dieu, et plus encore, la Rédemption qui veut intro­duire l'homme dans ce libre échange, dans le dialogue divin. Toute la réalité porte ainsi l'empreinte de la Trinité:   dialogue, amour. Dès lors, on peut parler d'une ontologie trinitaire, d'une analogia caritatis qui a son fondement uniquement « en haut », en Dieu, et qui peut alors et doit être connue et expérimentée « en bas ». Cette structure dialogico-ontologi-que rend possible, voire nécessaire, l'histoire.

Tant de problèmes connexes sont traités avec un luxe d'érudition tel qu'il est impossible d'en rendre compte ici. L'Auteur élargit son horizon de l'eschatologie de son théologien à toute sa théologie, et jusqu'à ses répercussions pratiques. Le lecteur courageux — mais son effort n'est pas vain — en reste quelque peu abasourdi. Aucun recoin n'est ignoré. De l'eschatologie, on passe à la théologie fondamentale, non sans effleurer la philosophie, puisqu'on nous parle d'une ontologie trinitaire.

Parmi les problèmes qui touchent plus directement l'eschatologie, il y a la « nouvelle compréhension dialogique de l'âme ». Être partenaire de dialogue avec Dieu, voilà ce qui est exprimé dans le concept chrétien d'âme.   La   thèse   de  l'immortalité   dialogique   s'y   rattache   étroitement. Son fondement théologique est l'indestructibilité de la communion avec Dieu. Dieu Créateur maintient éternellement l'homme dans sa mémoire. Il est immortel et il crée immortel parce qu'il est l'Amour. Et parce que Dieu, Créateur et Rédempteur, est dans un dialogue sans repentance avec l'homme, parce qu'il ne le rompt jamais unilatéralement, l'homme est immortel. L'immortalité se fonde donc sur le dialogue de l'homme avec  Dieu, lui-même fondé sur le dialogue de Dieu avec l'homme. Ce dialogue passe par un fait historique: par la figure concrète de Jésus-Christ et par sa résurrection. Il faut encore ajouter que l'immortalité porte un caractère communautaire. Le dialogue de Dieu avec l'homme n'est pas un dialogue avec des individus isolés. Il se déroule finalement dans « le Corpus du Christ », dans la communion avec le Fils. Ciel et résurrection sont déjà en devenir. C'est une eschatologie réalisée dans laquelle l'Église et les sacrements ont un rôle important.

Un autre problème connexe à l'eschatologie est celui du rapport temps-éternité. On sait qu'il existe dans la théologie catholique actuelle un courant qui cherche à résoudre ce problème en supprimant l'inter­valle entre la mort et la résurrection, et en affirmant que la résurrection a lieu à la mort (par ex. G. Lohfink et G. Greshake). Ratzinger critique énergiquement cette opinion. Son idée du temps s'appuie sur la tradition et en particulier sur S. Augustin. Il surmonte la simple alternative temps-éternité en introduisant une interprétation anthropologique du temps. Éternité n'est pas a-temporalité mais potentialité de temps (Zeitmâch-tigkeit). Éternité signifie bibliquement plénitude du temps. Éternité de l'homme signifie de la part de Dieu: faire participer à la plénitude du temps. De la part de l'homme, elle signifie: la coopération active rendue possible par Dieu pour la plénitude du temps.

Un autre problème étroitement lié à l'eschatologie est aussi celui de la relation corps-âme, matière-esprit. L'idée d'une âme libérée de son corps et qui aspire à lui être unie était déjà un problème pour la sco-lastique. Il fut l'objet d'une vive discussion entre théologiens et phi­losophes actuels. La Congrégation pour la doctrine de la foi est intervenue dans le débat (1979) mais son document n'a pas remis tout le monde d'accord. On s'accuse l'un l'autre de platonisme, considéré comme un péché intellectuel à cause de son dualisme. La question se pose alors de savoir jusqu'où on peut aller dans la spiritualisation de la matière et du temporel sans les dissoudre comme tels.

« La foi chrétienne ne connaît pas de séparation absolue entre esprit et matière, entre Dieu et la matière», déclare J. Ratzinger (p. 171). Il ne suffit pas de dire que la matière sera perfectionnée comme matière par et dans l'homme. Contre un certain gnosticisme, Ratzinger veut maintenir la foi dans l'achèvement de la matière comme réalité existante en soi dans une relation réciproque avec l'homme. En d'autres mots: la matière perfectionnée,  le cosmos achevé font partie du bonheur et de le pléni­tude de l'homme.                                                                           

Nous n'avons pu que résumer très brièvement quelques-unes des positions les plus caractéristiques de l'eschatologie de J. Ratzinger, G. Nachtwei consacre aussi une partie de son travail à la théologie de son auteur. Il est impossible de présenter ici toutes les questions dévelop­pées avec le luxe d'érudition que nous avons déjà pu admirer et louer. La compréhension dialogique serait le concept-clef de la pensée de Ratzinger.

Le personnalisme dialogique moderne d'un Gabriel Marcel, d'un M. Buber par exemple, a certainement influencé le théologien bavarois, mais les deux « sources » de sa compréhension de la personne sont une juste idée de la Trinité qui est communio, amour, don de soi, et la structure de la foi qui ne se réalise et ne se présente que dialogiquement.

Une théologie, donc, originale et féconde pour la pastorale et la vie chrétienne. L'Auteur qui la présente a fait un grand travail d'étude des sources (124 titres pour la seule bibliographie de J. Ratzinger; 10 pages pour les autres travaux). Il a su être objectif, ne passant pas sous silence les critiques faites à l'une ou l'autre position de son théologien. Celui-ci se reconnaîtra-t-il dans cette synthèse de sa pensée? C'est à espérer. En tout cas, nous avons désormais une magistrale introduction à la pensée d'un des grands théologiens de notre temps.