Rezette Jean ,
Recensione: RENE LATOURELLE, L'accès à Jésus par les Evangiles. Histoire et herméneutique (Recherches, 20. Théologie) ,
in
Antonianum, 53/3-4 (1978) p. 617-621
.
Le problème de la crédibilité du christianisme est un problème central de la théologie fondamentale. Il se pose aujourd'hui de façon différente par rapport à la perspective des siècles derniers. Alors qu'on envisageait l'attestation de la révélation presqu'exclusivement du point de vue de l'objet, en dehors de toute perspective historique, dans un but surtout apologétique, aujourd'hui on attache une grande importance à l'historicité de la Révélation et à ses conditions d'accueil de la part de l'homme.
Trois questions fondamentales se posent à nos contemporains devant la réalité du christianisme. (1) Par les Evangiles, avons-nous accès à Jésus de Nazareth? C'est est toute la question, particulièrement brûlante aujourd'hui, de l'histoire et de l'herméneutique. (2) Est-il vrai que le message de Jésus répond à la question du sens de la condition humaine? De la réponse à cette question rendue plus urgente par la sensibilité actuelle aux problèmes de l'homme, découle l'intérêt de l'homme pour le christianisme. (3) Les signes que Dieu adresse à l'homme dans l'histoire en Jésus-Christ, dans ses paroles et ses actes, dans sa mort et sa résurrection, dans le mouvement religieux multiséculaire issu de lui, tout cela permet-il d'identifier le Christ comme le Dieu-parmi-nous? C'est la question proprement théologique.
Dans le présent ouvrage, l'auteur, professeur de théologie fondamentale à l'Université Grégorienne de Rome depuis près de vingt ans, étudie le problème historique et herméneutique de la crédibilité chrétienne en s'efforçant de lui donner une réponse synthétique et systématique.
Le problème se ramène à cette interrogation: quel est le rapport entre le christianisme et le Jésus historique? Quel est le lien entre histoire et kérygme? entre le texte et l'événement? Après le scepticisme radical de R. Bultmann, l'exégèse protestante, on le sait, est revenue peu à peu à l'affirmation du primat de l'histoire. Les retombées de ces positions du côté catholique ont rendu les exégètes plus critiques parce que plus conscients des difficultés d'atteindre Jésus de Nazareth à travers le kérygme. Ils admettent, certes, que le Christ de la foi n'est pas autre que le Jésus de l'histoire, mais par ailleurs, ils savent qu'entre Jésus et le texte actuel de nos évangiles, il y a tout un processus d'interprétation de l'événement de Jésus et de son existence terrestre à la lumière de la résurrection. De là que le problème de l'accès à Jésus par les évangiles est devenu un problème d'herméneutique.
Celui-ci n'est pas nouveau, et l'auteur nous en retrace brièvement l'histoire. Ce problème ne s'est pas posé de la même manière à travers les siècles. C'est la critique moderne qui a découvert la distance et la tension entre le texte et l'événement en révélant la situation unique des évangiles. Il en résulte des implications théologiques importantes qui mettent en jeu l'existence et la nature même du christianisme. Si l'on devait établir que le christianisme est né de la seule foi primitive, que resterait-il du christianisme? En quels termes Jésus a-t-il parlé de lui-même et de sa mission? Il faudra donc montrer comment le texte, précisément parce qu'il est témoignage, suppose l'événement, car le sens attesté est celui de l'événement.
Avant de présenter les arguments, l'auteur brosse un rapide tableau de l'évolution de la critique évangélique depuis deux siècles, et il définit le genre littéraire « évangile », comme aussi la nature, l'objectif et les limites de la recherche historique. Ce patient travail, bien documenté, de déblayement et de décantage des matériaux conceptuels (évangile, histoire) prépare ainsi le lecteur à aborder les vraies difficultés et les vrais arguments. Il y est encouragé par les résultats positifs de deux siècles de recherche exégétique aboutissant à une conclusion ferme sur la possibilité d'un accès historique à Jésus de Nazareth.
La démonstration proprement dite constitue la partie principale de l'ouvrage. Elle comprend deux mouvements: la critique externe et la critique interne. La première envisage le texte « du dehors » pour répondre à des questions concernant l'auteur, la date et le lieu de composition, les sources, l'intégrité du texte. Après avoir joui longtemps d'une autorité prédominante, elle a cédé aujourd'hui le pas à la critique interne en raison du caractère particulier des évangiles et de l'histoire de leur formation. L'auteur en rappelle les données principales en montrant que si certaines sont mises en question par la critique moderne, d'autres s'en trouvent confirmées ou mieux comprises.
Le poids de la démonstration repose donc sur la critique interne. Celle-ci s'applique à déterminer dans quelle mesure la double médiation de l'Eglise primitive et des évangélistes maintient ou brise la continuité qui va de Jésus jusqu'à nous. Au niveau de la recherche historique, la médiation de l'Eglise est première. C'est pour cela qu' il faut commencer par l'étude de la Formgeschichte pour passer ensuite à celle de la Redaktionsgeschichte.
D'un mot, la Formgeschichte (histoire des formes) veut écrire la préhistoire des évangiles. Elle ambitionne de retrouver les formes les plus anciennes de la tradition et les états successifs qu'elle a connus au cours des années qui ont précédé la mise par écrit des évangiles. Quelles que soient les positions auxquelles ont abouti certains de ses représentants, la Commission Biblique Pontificale, dans son Instruction d'avril 1964, a invité les exégètes catholiques à utiliser les éléments positifs de cette méthode, entre autres le primat de la Tradition orale sur l'Ecriture, l'influence sociologique et religieuse de la communauté révélée par la diversité des genres et sous-genres littéraires que contiennent nos évangiles, l'existence de plusieurs milieux de vie (Sitz im Leben) auxquels renvoient ces types littéraires. Il faut cependant observer que la communauté chrétienne primitive n'est pas une société anonyme, qu'elle a ses chefs et guides religieux parfaitement identifiés, témoins privilégiés de la vie et du ministère de Jésus. De plus, il ne faut pas exagérer la puissance créatrice de cette communauté sous peine de déformer l'image de l'Eglise et de méconnaître le lien entre la communauté postpascale et la communauté pré-pascale dans sa relation historique à Jésus. C'est sur ces derniers problèmes que va se porter maintenant l'attention de l'auteur.
La première vérification critique consiste donc à définir le rapport réel existant entre la communauté prépascale, d'une part, et la communauté postpascale, d'autre part. Ce rapport existe, de fait, parce que, entre le groupe des disciples de la première heure et la communauté postpascale, il existe une véritable communauté de tradition incluant la transmission d'un message et d'une activité. Le fait de cette continuité peut être établi en étudiant avec la méthode de la Formgeschichte la communauté prépascale dans son Sitz im Leben externe et interne, ce dernier ayant une grande importance parce que ce sont précisément les liens internes et l'esprit de la communauté qui sont les éléments assurant la transmission fidèle d'une tradition. De cette manière, on peut remonter de la communauté postpascale au groupe des disciples de Jésus et à Jésus lui-même.
Le second point majeur de la démonstration est la vérification critique de la fidélité de l'Eglise primitive à Jésus. Comme pour la communauté prépascale, il importe de dépasser l'étude du milieu sociologique de l'Eglise primitive (Sitz im Leben externe) pour arriver à connaître ses attitudes intérieures et l'esprit qui inspire son comportement extérieur. L'étude du langage, de certains vocables privilégiés (recevoir et transmettre, témoin, apôtre, etc) est ici révélatrice d'une mentalité qui va nettement dans le sens de la fidélité à Jésus.
La troisième vérification critique est celle de l'évaluation exacte du rôle des évangélistes dans l'histoire de la tradition. En effet, à force de souligner l'activité personnelle de ceux-ci, on est arrivé à faire naître la suspicion sur leur fidélité à Jésus. Mais cette suspicion ne résiste pas à une analyse du travail rédactionnel des évangélistes telle qu'elle a été menée par les praticiens de la Redaktionsgeschichte et approuvée, dans ses grandes lignes, par la Commission Biblique (1964). On peut en conclure que « l'activité rédactionnelle des évangélistes manifeste plus de fidélité que de liberté; et celle liberté elle-même, parce que vérifiable, inspire confiance» (p. 211).
Enfin, il reste à effectuer une quatrième et ultime vérification critique: montrer que la fidélité aux dits et gestes de Jésus appartient à l'ordre des faits et qu'elle est vérifiable. La critique littéraire cède ici le pas aux critères d'authenticité historique. Cette étude en est encore à ses débuts, aussi ne faut-il pas s'étonner de la grande diversité des opinions touchant le nombre et la valeur des critères d'historicité en ce qui concerne les évangiles. De plus, c'est la partie de la démonstration la plus exposée au danger du subjectivisme, « car il faut constamment porter des jugements personnels sur la nature du matériel évan-gélique » (A. Calvert, cité p. 216). La seule nomenclature des critères retenus valables par l'auteur serait déjà trop longue pour une simple recension. Nous retiendrons sa conclusion: (1) la preuve ou démonstration d'authenticité historique des évangiles repose sur l'usage convergent des critères; (2) « après une application rigoureuse des critères d'authenticité historique, on ne peut plus dire comme Bultmann: « De Jésus de Nazareth, on ne sait rien ou presque rien ». Une affirmation de ce genre n'est plus soutenable » (p. 237).
Nous n'avons pu qu'esquisser ici les grandes étapes du chemin qui, des évangiles, conduit à Jésus, un chemin au tracé clair et sûr, dûment vérifié, où l'on s'engage avec sécurité et confiance, non pour y trouver la foi, mais pour la renforcer au contact de la personne authentique de Jésus dans son authentique évangile. Il va sans dire que ce livre rendra de grands services non seulement aux théologiens, maîtres et étudiants, mais à tous les croyants soucieux de réfléchir sur les fondements de leur foi.
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