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5. Doctorat « Honoris Causa » du P. Lucieh Ceyssens OFM, professeur emèrite au « Pontificio Ateneo Antonianum »

 
 
 
Foto Aubert R. , 5. Doctorat « Honoris Causa » du P. Lucieh Ceyssens OFM, professeur emèrite au « Pontificio Ateneo Antonianum », in Antonianum, 53/3-4 (1978) p. 669-671 .

Le 24 avril 1978, l'Université de Louvain-Ia-Neuve a conféré le titre de docteur « honoris causa » au R.P. Lucien Ceyssens, profes­seur émérite au Pontificio Ateneo Antonianum. Il nous est agréable de reproduire ici la relation publiée, pour la circonstance, dans la Revue Théologique de Louvain (9, 1978, p. 253-256) par M. le Chanoi­ne Roger Aubert, professeur à l'Université de Louvain.

Pour aucune faculté universitaire le motto bien connu Nova et Vetera n'a autant de signification que pour une faculté de théologie. La théologie bien comprise doit en effet regarder vers le monde de ce temps avec le souci de préparer l'avenir, mais en même temps s'enraciner dans la tradi­tion, où elle doit constamment se ressourcer. Ce qui est vrai pour le travail des théologiens et pour l'organisation des cours et séminaires d'une faculté de théologie est également vrai pour le choix de ces modèles vivants que constituent ses docteurs honoris causa. On doit trouver parmi eux des hommes prestigieux qui par leur action dans l'Église font par exemple progresser l'oecuménisme ou donnent à la vertu cardinale de justice un nouveau visage mieux adapté aux problèmes du monde contem­porain. Mais on doit y trouver aussi de savants austères, qui nous aident à mieux comprendre l'Écriture Sainte et les Pères de l'Église ou à déchif­frer en connaissance de cause ce lieu théologique essentiel qu'est l'histoire de l'Église. C'est un de ces hommes que la Faculté de théologie de l'U.C.L. a voulu honorer aujourd'hui en la personne du Père Lucien Ceyssens.

Le Père Ceyssens est à l'heure actuelle dans le monde l'un des deux ou trois meilleurs connaisseurs des controverses jansénistes et il est, sans conteste, le spécialiste du jansénisme en Belgique. La carrière scientifique de ce religieux modeste, qui n'a jamais recherché les honneurs ou les places en vue, présente une remarquable continuité. Il y a près d'un demi-siècle, étudiant à la Faculté d'histoire ecclésiastique de l'Université grégo­rienne, il se vit proposer par son promoteur comme sujet de thèse de doctorat: l'étude de l'introduction du formulaire antijanséniste en Bel­gique à la fin de XVIIe s. En bon historien, il se plongea dans l'étude se­reine des documents et il finit par arriver à la conclusion que, contraire­ment à ce que pensaient ses maîtres — et la plupart des historiens du temps — les adversaires du jansénisme ne méritaient pas toutes les louan­ges ni les jansénistes tous les blâmes, et qu'en particulier les procédés utilisés par les premiers ne répondaient pas toujours aux exigences de la charité chrétienne ni même de la simple justice. Son promoteur se montra fort déçu de pareille conclusion qui semblait diminuer les mérites de son ordre dans la défense de ce qu'on considérait comme l'orthodoxie catholi­que et, s'il finit par consentir à ce que le candidat fût malgré tout proclamé docteur, ce fut à la condition que la thèse ne serait pas publiée (:) et en conseillant au jeune auteur imprudent de procéder à une étude plus systématique des sources de la période antérieure, ce qui, espérait-il, devrait l'amener à des vues plus saines sur la question.

Le Père Ceyssens suivit le conseil et, pendant quarante ans, tout en enseignant de 1934 à 1963 l'histoire de l'Église moderne à l'Institut francis­cain de Rome, devenu aujourd'hui l'Université pontificale Antonianum, il parcourut les bibliothèques et les dépots d'archives d'Europe, de Rome à Dublin, de Madrid à Malines et à Amersfoort, en quête de documents inconnus — et Dieu sait s'il y en avait — permettant de remettre dans leur contexte concret les déclarations romaines contre Jansénius et ses partisans, d'une part, les réactions de ceux-ci, d'autre part. Les résultats de ses recherches commencèrent à paraître sous forme de brefs articles à partir de 1938 et, dès 1943, le chanoine De Meyer, à qui je demandais où je pouvais trouver des lumières sur le sens précis des propositions laxistes condamnées par Innocent XI en 1679 — il y en avait quelques unes qui concernaient l'acte de foi — m'orientait vers le P. Ceyssens, lequel m'ac­cueillit avec la bienveillance érudite dont il a toujours fait preuve à l'égard des jeunes chercheurs — et des moins jeunes également. Peu à peu sa documentation s'enrichissait et, parallèlement, son horizon s'élar­gissait, car, après s'être limité d'abord à l'histoire du jansénisme en Bel­gique, il avait été amené, pour mieux comprendre celle-ci, à étudier de plus près dans quelles conditions -— souvent surprenantes, c'est le moins qu'on puisse dire — furent élaborées les diverses bulles romaines contre les partisans de YAugustinus, puis les listes de propositions censurées par le Saint-Siège durant le dernier quart du XVIIe s., ce qui l'amena à jeter un jour très neuf sur les intrigues qui s'entrecroisèrent à la Curie romaine à ce sujet pendant de longues années. Et peu à peu un vaste projet prit forme: rassembler en de gros recueils tous les documents connus, dont 95% étaient inédits, de manière à pouvoir suivre vraiment au jour le jour la suite des événements, de la manière la plus précise possible, en péné­trant dans les coulisses des commissions pontificales et même du Saint-Office, ce qui permettait de faire une véritable phénoménologie du magi­stère ecclésiastique dans son exercice concret, soumis aux pressions de tout genre et aux passions de tous ceux qu'anime le souci de l'intégrité de la tradition ou, éventuellement, la rabies theologica. Le premier de ces volumes, qui part de la publication de YAugustinus en 1640, parut en 1957 dans notre Bibliothèque de la Revue d'histoire ecclésiastique sous le titre Sources relatives aux débuts du jansénisme et de l'antijansénisme. Depuis lors, huit autres volumes sont venus s'y ajouter, couvrant au total 42 années. Parallèlement, les monographies, dont le nombre a depuis long­temps dépassé largement la centaine, ont continué à voir le jour, certaines d'entre elles constituant de véritables petits volumes et, la dernière en date, un gros volume consacré à celui qui fût, après les jésuites et à leur service le grand responsable en toute cette affaire, le cardinal Albizzi. Ces travaux d'érudition, bourrés de citations éclairantes, sont jalonnés de loin en loin par quelques essais de synthèse qui ont renouvelé peu à peu les perspectives de manière très suggestive, notamment en attirant l'attention sur une catégorie historiographique négligée jusqu'alors, Y antijansénisme, « frère siamois » du jansénisme et même en un certain sens antérieur à celui-ci, tout aussi incompatible parfois avec le catholicisme authentique que le jansénisme dans ses formes les plus outrées.

Il est un point où ce renouvellement des perspectives nous concerne particulièrement, car il permet de réhabiliter l'ancienne Faculté de théolo­gie de Louvain, si longtemps suspectée d'avoir incliné vers l'erreur et même d'y avoir parfois succombé. L'examen attentif des sources a amené le P. Ceyssens à montrer que, à quelques rares exceptions près, les maîtres louvanistes n'étaient pas des « jansénistes » à proprement parler, mais simplement des augustiniens, et qu'ils le furent pour d'excellents motifs, théologiques et pratiques. Ce sont leurs adversaires, les « antijansénistes », qui les ont systématiquement calomniés pour essayer de dédouaner dans un premier temps leur théologie qui penchait vers le semi pélagianisme et dans un second temps leur laxisme moral.

Mais je m'en voudrais de trop insister sur cette affaire de famille. Les mérites scientifiques du Père Ceyssens dépassent largement ce point de vue strictement louvaniste. Il nous en a donné une nouvelle preuve dans sa leçon publique consacrée à la condamnation des 4e et 5e sentences jansénistes.

Pour une bibliographie exhaustive et analytique, voir I. Vazquez, Les publications du Père Lucien Ceyssens concernant le jansénisme et l'an-tijansénisme (1937-1977). dans Antonianum, t. 53 (1978), p. 194-266).