Antourakis Georges V. ,
Miscellanea: Principaux points de l'art chrétien ,
in
Antonianum, 68/2-3 (1987) p. 344-348
.
1. Jusqu'à l'époque de Justinien (565) ou même jusqu'au conflit iconoclaste (725 et suite), l'art chrétien dans son ensemble est la continuation, dans son évolution, de l'art gréco-romain, qui a su unir harmonieusement plusieurs éléments helléniques (élégance, grâce, harmonie) et orientaux (frontalisme, somptuosité, richesse des teintes). En lointains précurseurs de l'art paléochrétien nous pouvons citer les caractéristiques suivantes: a) la riche et séculaire tradition culturelle de l'Orient (l'art grec ancien et en général l'art des peuples anatoliens), b) Alexandre le Grand et ses successeurs (époque hellénistique), et c) l'empire romain (Imperium Romanum). Mais l'originalité et l'importance de l'art chrétien ne sont pas diminuées du fait qu'elles puisent un bon nombre d'éléments dans l'art ancien, tout comme l'originalité du Parthénon, par exemple, n'est pas diminuée du fait que celui-ci est apparenté au temple, plus ancien, d'Apollon de Corinthe. On sait bien que toutes les religions ont eu recours à l'art pour exprimer les émotions religieuses, qui, « depuis la fondation du monde » ont fait vibrer l'âme humaine. Les beaux-arts sont toujours parmi les fleurs les plus belles et les plus authentiques de l'esprit humain.
2. Aujourd'hui tous les hommes civilisés sont désormais convaincus qu'il n'y a pas d'idéaux inébranlables dans l'art. Tout art ne se proposait pas toujours pour but uniquement le « beau », mais l'expression de la vision de l'univers, des vécus spirituels et des angoisses de chaque époque. De cette manière on est venu à reconnaître la valeur de l'art de toutes les époques et de tous les peuples. Dès son apparition, l'art chrétien n'est pas seulement décoratif, mais surtout religieux, ecclésial. Il exprime à merveille le contenu spirituel du christianisme. La matière est subordonnée, avec foi et discernement, à l'esprit. Son apport n'entre pas seulement dans les catégories du Beau et du Haut, mais surtout dans celles du Saint et du Moral. C'est par l'art chrétien que l'Eglise exprime la foi, le culte, la doctrine, c.à.d. la théologie.
3. Le noyau de la construction ecclésiastique est, au début, l'existence des églises privées, les « maisons de prière », ainsi que les tombeaux des martyrs, les « Teguria ». Par la suite est apparu le style de la Basilique, qui s'est imposé presque partout. Un développement notoire de l'architecture religieuse est la basilique à coupole, née des constructions circulaires et de la basilique cruciforme. Citons comme caractéristiques de l'architecture paléochrétienne (jusqu'à l'époque justinienne) les points suivants: les axes longueur-largeur, le mouvement en avant (= l'expansion du christianisme) avec les nouvelles valeurs morales, quasiment universelles. La basilique à coupole (comme p.ex. la Sainte-Sophie de Constantinople) et tout particulièrement l'église byzantine (surtout du genre octagonal), assurent une unité de lieu, du « ciel » et de la « terre ». L'espace enfermé devient un chaleureux « microcosme » humain, adapté à la taille de l'homme, espace à la fois uni et trinitaire: un seul intérieur en trois parties. Dans le bâtiment religieux orthodoxe se trouvent renforcés les sentiments de contrition, de componction, de retournement du coeur. Les dimensions verticales et horizontales des Eglises du Christ sont rendues perceptibles et s'étendent, bien sûr, loin au-delà des limites de l'édifice. L'Eglise, en tant que Corps du Christ, donne sa forme à l'église-bâtiment. La division tripartite de celui-ci (prohaos-narthex, nef, sanctuaire) symbolise ou exprime les trois degrés d'initiation du fidèle. Au sein de l'édifice, sont cultivées et consolidées les grandes valeurs morales du christianisme. Tous les fidèles se sentent frères, égaux, membres d'une même famille humaine. Tous communient au même calice, par lequel ils sont « divinisés », sauvés. Sans autel, sans eucharistie, on ne peut imaginer une église, ni le salut de l'homme.
4. L'art chrétien en général a un fort caractère théologique et sacramentel. Il veut exprimer le monde intérieur, l'esprit, la communion du fidèle avec Dieu. C'est un art dynamique, fertile, original, expressif. Il a connu un grand épanouissement, un « âge d'or », mais aussi des périodes de décadence ou de stagnation. Il suit avec discernement la spiritualité, la piété, ainsi que la mondanité ou l'indifférence spirituelle de chaque époque. C'est, en quelque sorte, une balance servant à peser la spiritualité et la piété. Ceci se voit plus facilement dans l'art de l'Occident, qui, à partir du terrible schisme des Eglises (1054), perdit peu à peu son caractère spirituel et religieux et devint un art séculier plutôt que religieux. Chez les Protestants, p.ex., l'église devenait en premier lieu une salle de prédication ou un rendex-vous élégant. Les Réformés n'ont aucune sympathie pour les images et le mysticisme; pour eux, la foi et l'incroyance sont également respectables, et ainsi de suite.
5. Les si riches oeuvres de la sculpture et du miniaturisme, ou des arts appliqués, ainsi que les célèbres enluminures de manuscrits, les sceaux en plomb ou en cire, etc., sont des sources appréciables non seulement pour la compréhension de l'art chrétien, mais aussi de la civilisation chrétienne en général.
6. Les myriades d'épigraphes chrétiennes, en particulier, sont des oeuvres très importantes — plus encore, elles sont des textes authentiques — qui « parlent », enseignent et font réfléchir. C'est en cela que réside leur importance. Leur « langage » est une expression remarquable de l'art chrétien, puisque les inscriptions sont des oeuvres artistiques et littéraires de valeur (quoiqu'un peu négligées aujourd'hui). Elles ont un caractère religieux, liturgique, psychologique, social etc., presqu'au même titre que les images religieuses (icônes), qui portent aussi des épigraphes ou des abréviations, parfois même assez longues. Nous voyons clairement le rapport image-inscription — chrétiennes ou non — dans les sceaux en cire et en plomb et dans la monnaie byzantine où, autour du personnage central, se trouve une phrase ou explication s'y rapportant. L'image-symbole s'adresse surtout à l'âme ou au coeur, tandis que le texte, écrit-inscription, fait appel à l'intelligence. On connaît, p.ex., le cas du « denier » et de la question du Christ: « De qui sont cette image et cette inscription? » (voir Me 12,16). Ainsi, tant dans l'art païen et séculier que chrétien, les deux formes fondamentales « sculptées par l'art et l'industrie de l'homme » (Ac 17,29), l'image et l'inscription, sont intimement liées et vont ensemble.
7. L'art orthodoxe byzantin et post-byzantin — notamment la peinture des icônes (l'hagiographie) — était devenu une « conscience ethnique » à travers le monde chrétien orthodoxe. Plus particulièrement la peinture orthodoxe (fresques, mosaïques, icône portatives etc.) est: a) un art liturgique, c.à.d. qui interprète et rend sensible la Divine Liturgie, b) un art qui comporte une théologie pure et élevée, exprimant —^ dans la mesure de ses possibilités — la foi, la doctrine et le culte, c) un art qui rend un service spirituel; c'est une « servante » fidèle et un « miroir » du christianisme, d) un art qui exprime la philanthropie, la charité, la paix, la Résurrection. Par delà de la Résurrection, il prêche l'amour du prochain, l'appartenance à la même famille humaine...
8. Les icônes orthodoxes sont l'oeuvre d'hommes de prières (sur tout de moines), humbles (la plupart du temps anonymes). Elles sont considérées comme sacrées, saintes, miraculeuses, comme des livres de sages et d'incultes. Le fidèle orthodoxe ne peut concevoir une église ou une maison sans icônes sacrées. L'amour, l'émotion, la tendresse, la piété, l'honneur que montrent les orthodoxes envers les icônes byzantines et post-byzantines ne sont pas faciles à analyzer. C'est une pratique, un vécu séculaires. Ainsi, une icône est autre
chose pour un Orthodoxe qu'un tableau, une statue et des vitraux ne sont pour un Catholique romain ou un Protestant. De même, l'autel avec son Crucifié et la coupole de l'église signifient autre chose pour un Orthodoxe que l'autel avec son rétable et la flèche de l'église ne signifient pour un Catholique ou un Protestant. Le « langage » mystique des icônes orthodoxes et toute leur dimension héologique sont parmi les aspects les plus importans de l'art byzantin. Le peinture chrétienne — et tout particulièrement la théologie de 'icône — sont comprises et interprétées surtout par les théologiens rthodoxes, qui disposent de l'infrastructure théologique indispensable, des connaissances suffisantes et de la foi nécessaire.
9. Bien entendu, l'art religieux de l'Occident est aussi très significatif. Les célèbres cathédrales, les tableaux, les vitraux, les statues, la peinture des rétables, les remarquables travaux de miniatures etc. proviennent de la main d'artisans dotés d'une piété fervente. C'est pourquoi il semble très bizarre au théologien orthodoxe qu'il
n'y ait pas dans les facultés de théologie — tant protestantes que catholiques — des chaires d'art chrétien. Cette branche si importante fait l'objet de recherches seulement dans les facultés de philo sophie en Occident, comme une section de l'histoire de l'art. Il est à souhaiter que l'étude de l'art chrétien s'ajoute, en se renforçant,
aussi dans les facultés de théologie des universitaires européennes si prestigieuses, où les autres branches théologiques sont traitées avec bonheur et produisent de beaux fruits. Enfin, nous devons tous prendre conscience que les théologiens (orthodoxes ou pas) sont plus aptes et plus compétents que n'importe qui pour l'interprétation et la recherche de l'art chrétien.
10. Ces quelques réflexions, captant les messages de l'art chrétien, peuvent servir à jeter un pont entre les diverses familles chrétiennes. L'art, en tant que miroir poli du christianisme tout entier, est la meilleure preuve de l'unité du monde chrétien. L'art chrétien ne divise pas, ne déçoit jamais: Il réchauffe et unit les coeurs.
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